Clio Marshall •
Ceux qui ont déjà travaillé avec moi m’ont forcément déjà entendu parler de l’échelle du stress. C’est sur cette notion particulière que j’ai choisi de m’arrêter cette semaine, en essayant d’aborder la chose de la manière la plus neutre possible. Attention, ce qui va suivre risque de ne pas être très sexy (ça ne sera pas non plus hautement scientifique, parce que j’ai arrêté la bio en première et c’était… il y a longtemps). Mais c’est un sujet important qui peut nous aider à mettre un petit coup derrière la tête à certaines idées reçues. Dans mes lectures anglophones et canines, les termes ‘threshold’ et ‘trigger stacking’ reviennent régulièrement. Ils sont malheureusement encore totalement absents du vocabulaire équestre français (en tous cas de ce que j’en vois, mais je serais ravie de m’être trompée). Pourtant les mécanismes sont les mêmes, peu importe la langue ou l’espèce. C’est ce qu’on va traduire et décortiquer cette semaine, pour que la prochaine fois que quelqu’un pense « il fait semblant, d’habitude il passe ça sans problème », on puisse lui expliquer ce qu’il se passe vraiment.
"Parce qu’aucun cheval ne passe de 0 à 60 comme ça, d’un coup. Si ça arrive, c’est qu’on a pas réalisé qu’il était depuis bien longtemps à 59".
Au début, il y a les déclencheurs. Enfin non, au début il y a vous, moi, le gros Panda et Petit Poney, qui vivons notre jolie vie paisible et agréable avec amis et habitudes. Et alors arrivent les déclencheurs. Par exemple ce réveil qui ne sonne pas, ce type qui mâche la bouche ouverte à la table d’à côté, ce chien qui s’approche des croquettes du Pandu ou ce tracteur qui croise la route de Poney en balade.
Un déclencheur, c’est tout ce qui va créer une réaction émotionnelle chez Poney (on va se recentrer sur Poney, mais vous l’aurez compris, ça ne lui est pas spécifique). Ça peut être un événement, une personne, un animal, mais aussi un bruit, bref, tout facteur qui entraîne une réaction émotionnelle (une émotion) chez Poney. Un déclencheur, c’est un facteur de stress que Poney ne maîtrise pas, et qui peut engendrer une réaction inappropriée (ou disproportionnée) de sa part. C’est quelque chose qui le gêne, qui le blesse, qui l’effraie, qui le handicape.
Une chose que je pose là, au cas où : il ne tient qu’à nous de travailler Poney pour que ce déclencheur n’en soit plus un. Ou en tous cas pour que ce déclencheur fasse monter Poney sur la deuxième marche de son échelle de stress plutôt que sur la sixième.
Une deuxième chose que je pose là : les déclencheurs de mon Poney ne seront pas ceux de votre Poney. Pas les vôtres, pas ceux de son copain de pré non plus, mais les siens. Certains sont classiques et plutôt communs, d’autres peuvent être plus surprenants, parce qu’ils dépendent de facteurs que l’on ne maîtrise malheureusement pas.
Pour finir, il y a les déclencheurs « invisibles ». Ceux qui ont suivi notre semaine consacrée à l’alimentation l’hiver dernier se souviennent par exemple qu’un accès limité à une alimentation pauvre en fibre est un ÉNORME facteur de stress pour le cheval. De la même façon, une douleur, la solitude ou un changement d’habitude sont des déclencheurs. Et peut-être même les pires.
Lorsqu’il est confronté à un déclencheur, Poney voit son taux de cortisol s’élever (pas seulement, mais c’est sur cette hormone là qu’on va s’arrêter aujourd’hui). Le cortisol, c’est ce qui est produit en grande quantité lors d’une situation à risque (après l’adrénaline) et qui est associé à l’instinct combat/fuite/sidération (et donc au système nerveux sympathique). Pour faire simple, le cortisol puise dans nos réserves et transforme la graisse en sucre. Il permet de trouver l’énergie stockée et de la redistribuer en fonction de notre besoin (aux muscles pour la fuite par exemple).
Le cortisol ne quitte pas l’organisme en un claquement de doigt. Il faut plusieurs heures (et j’insiste sur le plusieurs heures, pas minutes, heures) pour que le taux de cortisol ne redescende complètement. Donc, lorsque vous croisez un tracteur en balade, que Poney fait un écart et qu’il reprend ensuite le cours de sa balade, ça ne veut pas dire que le tracteur est oublié. Le taux de cortisol est en train de redescendre, mais il ne sera pas redescendu complètement avant quelques heures (voire quelques jours selon le déclencheur).
Maintenant souvenez-vous de nos déclencheurs « invisibles ». Ceux avec lesquels le cheval vit au quotidien. On ne s’habitue pas à un stress, on apprend à vivre avec. Ça ne va pas « passer avec le temps ». Mais nous, cavaliers, propriétaires, gérants de pension ou moniteurs, on va s’habituer aux signaux de stress que nous envoie le cheval, et on va les prendre pour acquis. On va mettre une étiquette sur tel ou tel comportement que l’on ne veut plus voir, on va généraliser certaines attitudes, on va fermer les yeux et en demander plus, jusqu’à en demander trop. Poney se s’est pas habitué à son stress, il prend sur lui. Nous, par contre, on s’habitue à l’expression de son mal-être au point de ne plus l’entendre.
Lorsque les déclencheurs sont espacés dans le temps, le cheval peut les supporter. Ça ne veut pas dire qu’il les ignore mais qu’il les tolère. Et il est en capacité de les tolérer, donc de prendre sur lui, parce que tout ça reste en dessous de son seuil de déclenchement.Mais lorsque les déclencheurs s’enchaînent ou, pire encore, arrivent en même temps, alors ils s’accumulent. C’est ce qu’on appelle, assez simplement, le « cumul de déclencheurs », ou ‘trigger stacking’ en anglais. Lorsque les déclencheurs s’enchaînent, le taux de cortisol n’a jamais le temps de redescendre. C’est à ce moment là que Poney commence à grimper sa petite échelle de stress. Sauf que si on ne le sait pas, on n’y prête pas vraiment attention. Et c’est là que « sorti de nul part, il a complètement explosé ». Mais ça n’était pas sorti de nul part. Ça fait des heures que Poney envoie des signaux, plus ou moins discrets, pour montrer que ça monte. Tous ces comportements ont des explications, et « il ne veut pas bosser » ou « il se fout de ma gueule » n’en font pas partie. Le cumul de déclencheurs explique un nombre incalculable des comportements indésirables qu’on observe chez les chevaux. C’est ce qui explique aussi le fait que parfois Poney se déclenche et parfois non. Et vous vous souvenez de nos déclencheurs invisibles ? C’est là qu’ils jouent un rôle capital.
Le cumul de déclencheurs, le seuil de déclenchement, et l’échelle du stress font partie des grands oubliés de l’équitation française. On leur préfère le manque de respect, le manque de connexion, le manque d’exercice ou le côté tête de mule d’un cheval.
Ce qu’il manque surtout c’est une connaissance même superficielle du fonctionnement d’un cheval, et du travail. Nos chevaux, comme nos chiens, payent le manque d’entraînement que nous leur imposons. Lorsqu’un comportement indésirable se produit, la première question qu’on devrait se poser, c’est « pourquoi ». Pourquoi est-ce qu’il a fait un écart là où d’habitude il passe sans problème, pourquoi il mâchouille son licol lorsque j’essaye de lui mettre, pourquoi il s’arrête devant les obstacles, pourquoi il m’a mordu lorsque je l’ai sanglé. Sauf que la question qu’on se pose dans ces cas là, c’est « comment ». Comment je vais l’éduquer ou le corriger pour qu’il cesse ces comportements. On se concentre le symptôme, celui qui se voit mais qui n’est finalement qu’une cerise sur le gâteau. On tapisse de sparadraps au lieu de regarder la plaie en profondeur, et d’aller chercher la cause, la vraie. Celle qui, bien plus discrète que les symptômes, s’immisce sournoisement dans notre quotidien depuis maintenant des semaines voire des mois. Parce qu’avant de faire un écart, il avait déjà une attitude plus haute. Parce qu’avant de mâchouiller son licol, il a détourné le regard et la tête légèrement à notre arrivée. Parce qu’avant de s’arrêter devant un obstacle, il a peut-être chargé dix fois ce même obstacle. Et parce qu’avant de mordre au sanglage, il a probablement couché les oreilles pendant des mois.
Donc le responsable de ces comportements, celui à punir, finalement, ce n’est pas Poney, c’est nous, nous qui avons échoué à remarquer les panneaux lumineux et les recommandés qui nous ont été envoyé depuis des jours, des semaines ou des mois. Nous qui avons échoué à offrir à Poney un cadre de travail sain et bienveillant, et qui le punissons maintenant pour avoir la choisi la voie dans laquelle on l’a poussé sans vraiment lui laisser le choix.
Le risque quand on traite les symptômes sans se pencher vraiment sur la cause, c’est qu’on envoie au cheval une information (« je me fous de ce que tu me dis ») qui peut mener à deux choses :
une escalade des comportements de défense qui entraînera probablement une situation dangereuse ;
la résignation apprise.
.Je vous laisse sur ces images de l’éthogramme de la douleur chez le cheval monté, en vous rappelant que la douleur est un déclencheur aussi puissant qu’il peut être invisible. Observer certains de ses comportements sous la selle et ne pas y prêter attention, c’est faire le choix de fermer les yeux. https://www.saddleresearchtrust.com/how-do-i-know-if…/… « Do the best you can until you know better. Then when you know better, do better. » Maya Angelou
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Bonjou, ma jument est hyper sensible au sanglage. Elle a vu l’ostéopathe deux fois, on lui a fait une com animale, on a un prof d’etho. Il semblerait que ce soit un souci de sevrage/ débourrage par des gens pas très tendres. Elle a peur du stick notamment, mais ça va de mieux en mieux. Je fais plus attention au sanglage (caresse, je sangle en plusieurs fois, je la marche aussi avant de resangler) mais elle n’aime pas ça… perso, un soutien trop serré me rend dingue… donc je peux comprendre que ce soit pas fun pour elle de se faire enserrer dans une sangle. Mais que puis-je faire d’autre ?